Le continent du fer

Le continent du fer

Table des matières

Chapitre 1

Galarania

Cela fait maintenant 20 jours que Galarania tangue sur ce vaisseau pourri et la vigie vient seulement d’annoncer la terre… Elle avait été malade une bonne partie de la traversée et la proximité de la terre, du plancher des vaches lui rendait enfin son sourire. Elle avait hâte de découvrir le continent maudit, comme on l’appelait à la cour de l’empereur Lous. En fait, le sujet était tabou à la cour… On se voilait pudiquement la face. On ne parlait pas de ce continent, pourtant un des plus important de la planète… Mais c’était le seul continent où l’on trouvait le seul minerai indispensable à la croissance de l’empire : Le fer.

En effet, on ne trouvait du fer que sur le continent que l’on nommait à voix basse, la Terre des plaisirs. Ce continent avait été découvert moins de 30 ans plus tôt. Par un curieux hasard, le fer, pour ne pas dire les minerais en général, n’existaient pratiquement pas sur les autres continents. Ça avait le point de départ d’un formidable enrichissement de l’empire. En quelques années, le fer que l’on mélangeait maintenant avec d’autres métaux, était devenu une matière première indispensable. Les premières années d’exploitation avaient été florissantes… Et puis les choses étaient devenues nettement moins roses. Pour une mystérieuse raison, les mineurs étaient de moins en moins nombreux. Le fait était entouré d’une chape de silence et il était impossible de savoir exactement ce qui se passait sur la terre des plaisirs. Les ressources humaines locales avaient pendant un temps masquées et comblées la baisse de production. Ensuite, on avait dû importer des travailleurs des autres continents. Aujourd’hui, la production recommençait à baisser alors que la demande était de plus en plus forte.

Galarania était enquêtrice impériale depuis moins de deux ans, mais elle avait su résoudre plusieurs affaires délicates qui avaient attirées les projecteurs sur elle. Elle avait été convoquée 1 mois plus tôt par l’empereur lui-même. Sa mission paraissait simple : Trouver pourquoi la production de fer baissait. Elle apprit que avant elle, deux enquêteurs avaient été envoyé sur le continent maudit et que personne ne les avait revus… Elle avait carte blanche.

Aujourd’hui, elle allait enfin poser les pieds sur ce fameux continent ! Elle avait préféré la discrétion à l’arrivée plutôt tapageuse de ses prédécesseurs. Pour tout le monde, elle n’était qu’une touriste, même si les touristes dans cette partie du monde se comptaient sur les doigts de la main… Elle confortait son rôle de riche héritière un peu timbrée. Pour l’heure, comme la mer était beaucoup plus calme à l’approche de la côte, elle se prélassait au soleil, très peu vêtue, ce qui agaçait visiblement le capitaine Thoreth. Le mousse du bord, Fibos tournait autour d’elle comme il ne l’avait jamais fait… Il s’enhardit même à essayer d’engager la conversation.

– Dans quel coin comptez-vous aller noble dame ?

– Jusqu’à ce que vous appeliez la « Forêt nue » au centre du continent…

Le jeune homme ne répondit pas tout de suite… Il semblait fasciné par la vision des pieds nus de la jeune fille. Galarania sourit et demanda

– Vous l’appelez la forêt nue sans doute parce les arbres sont rares ? Non ?

Le garçon resta encore un moment muet et fini par lâcher

– Vous avez vraiment des pieds nus magnifiques, noble dame… Pardonnez mon audace…

– Vous êtes pardonné moussaillon, mais quel est le rapport avec votre forêt ?

– Ben, ils seront un atout sérieux là où vous allez…

Le capitaine se dressa derrière elle et réprimanda vertement le mousse

– Tu n’as donc rien à faire que d’importuner notre passagère ! File ou tes fesses vont goûter de ma botte !

– Il ne me dérange pas !

– Il n’a rien à faire sur le pont à cette heure de toute façon !

– Que voulait-il dire en parlant de mes pieds comme atout ?

– Rien qui vaille la peine d’être connu… Mais si vous voulez un conseil, prenez l’habitude de ne pas montrer vos pieds nus sur le continent… portez des bottes, par exemple…

– Avec cette chaleur ? mais c’est un supplice ! Il s’agit d’une règle de bienséance en vigueur ici ?

– Oui, en quelque sorte…

– Mais Fibos est pieds nus tout le temps !

– Disons que la règle ne s’applique pas à bord…

Malgré tous ses efforts, elle ne put lui tirer le moindre mot sur le sujet… Et pour elle, il était très clair que Thoreth lui cachait quelque chose… Elle se promit de garder cet épisode à l’esprit… Finalement, tout était nouveau pour elle sur ce continent et le moins que l’on puisse dire, c’était que les bibliothèques impériales ne regorgeaient pas d’information sur le continent interdit…

Chapitre 2

Orm-de-fer

Elle avait trouvé une auberge à peu près potable dans le centre du Port d’Orm-de-fer : A la gargote des légendes. C’était propre et assez confortable. L’activité principale de la ville était d’acheminer les lingots de fer vers le port pour qu’ils partent vers les autres continents. Elle avait décidé de s’accorder quelques jours pour « prendre la température » de la ville.

Au bout de deux jours, elle savait reconnaître au premier coup d’œil les gens de la ville et ceux que ne faisaient que passer, convoyant le fer. En général et malgré une chaleur difficilement supportable, les habitants réguliers de la ville s’habillaient des pieds à la tête, ne laissant pratiquement visible que les mains et le visage… Et encore quand ils ne portaient pas de gants ! Les convoyeurs avaient des habitudes vestimentaires nettement plus cools. Chemises légères, shorts, quelques fois même des chaussures ouvertes comme de grosses sandales disgracieuses. Depuis l’épisode avec le mousse à bord du Redoutable, elle n’avait pas osé se mettre pieds nus en public, ni même remettre les sandales fines qu’elle portait régulièrement à la cours. Pourtant, vu le temps !

Et puis, il y avait une troisième catégorie de gens… Les esclaves, bien qu’officiellement l’esclavage n’existe pas… C’était des jeunes, généralement… Les plus vieux ne dépassaient pas une vingtaine d’années, avec une petite majorité de femmes. C’était la plupart du temps des commis, garçon d’écurie, fille de salle, porteur, etc… Et la plupart d’entre eux allait pieds nus. Fallait-il en conclure que le fait de ne pas porter de chaussures était réservé à la plus basse classe du port d’Orm-de-fer. C’est sans doute la raison des conseils du capitaine. N’empêche que cette coutume lui pesait sérieusement. Elle voulut en savoir un peu plus sur cette règle, mais elle apprit très vite qu’il était interdit d’adresser la parole aux « serviteurs ». Seul leur employeur avait le droit de leur adresser la parole pour distribuer ses ordres.

Le troisième jour, elle vit une chose encore plus étonnante ! Par une porte restée ouverte, il vit très distinctement une jeune fille entièrement nue faire la plonge dans la cuisine du restaurant de l’auberge. Elle avait voulu en avoir le cœur net, mais on lui avait poliment mais fermement interdit l’entrée de la cuisine. Elle avait parlementé avec l’aubergiste qui lui avait assuré que c’était absolument impossible… Pourtant, elle était certaine de ce qu’elle avait vu.

Mais que voulait donc cacher ces gens ? La conduite du villageois moyen n’était pas cohérente. Il manquait un élément à Galarania pour boucler son analyse… Si elle avait été chez elle, elle aurait seulement interrogé deux ou trois personnes de façon musclée… Mais ici, elle était beaucoup trop loin de ses bases… De plus, elle n’était pas ici officiellement. La première chose qu’elle fit en remontant dans sa chambre fut d’ôter ses bottes ! Garder les pieds enfermés par 45°C à l’ombre était un véritable supplice. Elle espérait que pendant le voyage vers les mines de fer, elle pourrait prendre quelques libertés avec cette tradition idiote.

Elle avait trouvé une caravane en partance pour les mines dans deux jours. Elle avait d’abord voulu se rendre sur place toute seule, mais ce qu’elle avait entendu à propos des pillards l’en avait dissuadé. En attendant le départ de la caravane, elle continua à observer la ville portuaire et ses contradictions. Par exemple, il n’y avait un nombre très restreint « d’esclave » dépassant la vingtaine d’année et aucun dépassant la trentaine… Que devenaient les serviteurs après 20 ans ? Où étaient-ils parqués ? Elle posa quelques questions autour d’elle à l’auberge, mais elle ne recueilli que des bribes d’information impossible à interpréter.

On voulut lui faire croire que les serviteurs devenaient des citoyens à part entière une fois leur apprentissage terminé, mais là encore, ça ne tenait pas debout. Depuis plus de 20 ans, la population de la cité portuaire n’avait cessé de baisser. Si elle répondait à cette question, elle résoudrait du même coup le manque de personnel qui réduisait la production de minerai de fer… D’ailleurs, pourquoi ne pas envoyer ces jeunes travailler à la mine ?

Dans quelques semaines, elle serait sur place et elle comptait bien répondre à cette question… et à quelques autres par la même occasion. Jamais personne ne répond directement à une question ! Tout est entouré de mystère, de sous-entendu, de non-dit… Avant de répondre, les gens se concertent du regard… Ce qui entraîne des silences révélateurs.

Chapitre 3

La caravane

La caravane s’ébranla au lever du jour. Ciryn donna un coup de talon sur les flancs de sa monture et le convoi se mit en mouvement. Malgré son jeune âge, c’était déjà sa dixième expédition au port, sa dixième cargaison de minerai de fer amenée au port pour être acheminé par mer jusqu’à l’empire. Ses pieds nus frappèrent encore une fois la bête pour donner le rythme adéquate à la caravane. Machinalement, il écarta la chemise qui collait sur sa poitrine. Il avait de plus en plus de mal à supporter ce contact… d’ailleurs, combien de temps serait-il encore capable de la supporter ? Chaque séjour dans la région des mines aggravait sensiblement son intolérance au tissu… combien de voyages encore ? 3… 2 seulement peut-être ?

Il savait à quoi il n’exposait quand il avait accepté ce poste de chef de caravane… Il devrait passer plus des deux tiers de son temps en territoire contaminé… Avec toutes les conséquences que cela supposait. Il se laissa dépasser volontairement pour prendre la température du convoi. Il repéra immédiatement cette fille blonde sur ton harnachement coûteux. Sa chevelure détonait avec les toisons brunes des autochtones. On lui avait dit de se méfier de cette fille, plusieurs personnes ! Cela faisait une semaine qu’elle traînait à Orm-de-fer et elle posait beaucoup trop de question !

D’après plusieurs sources, elle viendrait du cœur de l’empire. Une espionne ? Il sourit. Ici, seule au milieu du désert menant aux montagnes, elle ne présentait pas un réel danger, du moins, pas un danger immédiat ! Ce n’était pas le premier agent de l’empire qui venait se perdre ici… Le sot de ces derniers n’étaient pas très enviable… Un avait été tué en voulant reprendre clandestinement un navire pour l’empire, l’autre croupissait dans une geôle du port…

Visiblement, elle souffrait de la chaleur. Néanmoins, elle était couverte des pieds à la tête ! Elle avait apparemment bien retenu les recommandations des natifs de la ville.

Il n’était pas d’accord avec le sort réservé aux autres représentants de l’empire… Pourquoi ne pas essayer de faire de cette fille une alliée ? Il se promit d’engager la conversation le soir même au bivouac. Dans un premier temps, il était important qu’elle n’ait pas d’accès aux derniers chariots du convoi… On était encore trop près de la côte. Dans quelques jours, elle ne pourrait plus faire demi-tour seule et le reste… Dépendrait de son attitude.

– Bonjour Jeune fille ! Je suis désolé, mais je n’ai pas retenu votre nom…

– Sans doute parce que je ne vous l’ai pas donné…

Ciryn sourit en répliqua

– Vous marquez un point ! Je me présente alors ! Ciryn, chef de cette caravane, dit-il en posant la main sur son cœur et en s’inclinant légèrement.

Elle le toisa quelques secondes avant de répondre

– Galarania… Je visite seulement la région…

– Vous savez sans doute qu’il est très peu courant pour nous de voire des… Touristes dans notre région… Surtout en direction des mines…

– Je cherche à mieux connaitre toutes les régions de notre terre pour me consacrer ensuite à l’histoire de notre grand empire. Je cherche à me documenter sur toutes les coutumes…

– Peut-être pourrais-je vous être utile en vous racontant quelques-uns de mes voyages ?

– Je suis toujours prête à apprendre !

– Alors, retrouvons-nous autour du feu pour la veillée ce soir ?

– Avec plaisir !

Donnait-elle le change ou était-elle vraiment intéressée par ce qu’il avait à dire ? Il resta songeur un moment puis décida d’attendre le soir pour se faire une opinion.

Elle était assise face aux flammes et avait déboutonné le haut de sa chemise et il remarqua immédiatement qu’elle avait délassé ses bottes. Elle était d’un rouge inquiétant et semblait manquer d’air. C’est vrai qu’il devait faire au moins 45°C ce soir ! Pour lui, c’était tout à fait supportable… ce serait bien pire dans les jours qui allaient venir. Il sourit. C’est certain que presque nu, comme lui, c’était bien plus supportable. Un genre de pagne, un chemise ouverte, pieds nus… Il s’assit sans bruit.

– Dure chaleur, n’est-ce pas

Elle sursauta et répondit qu’une voix rauque

– Je crois bien que je vais fondre…

– Vous savez, on n’est plus en ville et vous pouvez vous permettre quelques liberté en matière d’habillage…

– Comment ça ?

– Ben par exemple, vous pouvez vous passer de ces lourdes et inconfortables bottes ! A moins que vos coutumes vous force à continuer à les porter ici ?

– Vous croyez que je peux les ôter ?

– Vous voyez beaucoup de gens porter des bottes ici ? C’est bon pour faire plaisir aux villageois, ça !

– Dans un sens, je suis soulagée car je ne crois pas que j’aurai pu les endurer beaucoup plus longtemps

En deux gestes, elle se débarrassa de ses bottes et posa ses pieds nus sur les herbes sèches devant elle. Le cœur de Ciryn rata plusieurs battements avant de reprendre un rythme nettement accéléré. Elle dut s’en apercevoir car elle sourit en lança :

– Qu’est-ce qui vous fascine comme ça ? Vous allez vous aussi me dire que j’ai de très beaux pieds nus ?

– La personne qui vous a dit ça avait entièrement raison…

– Il s’appelle Fibos et c’est le mousse du navire qui m’a amené ici… Il n’a aussi dit que mes pieds seront un atout sérieux là où nous allons…

– Il n’avait peut-être pas tort… l’avenir le dira…